Cet article est librement inspiré de mon intervention lors d’une conférence ayant eu lieu le 24 juin 2023 sur l’invitation d’une psychologue (Betina dans la suite du post) et sur le thème psychanalytique du “semblant”.

Mon objectif était de partager mon expérience de l’autisme et de l’inclusion au travers de ma définition du semblant.

 

Introduction

C’est vrai qu’avant de rejoindre il y a quelques années l’association Funambules et au moment où je t’ai appelé Betina, je “prospectais” sur beaucoup d’associations en lien avec l’autisme, et c’est un peu par hasard que je t’ai contactée. J’étais maladroit comme quelqu’un qui se présente à un entretien d’embauche sans savoir où il met les pieds. On cherche de l’aide mais on ne sait pas trop quelle aide en réalité. J’avais d’ailleurs aussi contacté et rejoint des associations plus militantes sur l’inclusion. Mais quand j’ai rejoint l’association Funambules, c’était pour moi comme une deuxième naissance grâce à ce qu’il m’a été donné d’apprendre sur FX. Ça n’aurait pas pu se passer autrement. Je n’aurai pas pu me dire : “Arnaud ce qu’il faut dans ta vie c’est la recherche de toi même et va contacter Funambules”. Ça s’est passé dans l’autre sens. J’ai tâtonné. J’avais des “convictions” et je me suis remis en cause aussi par ce silence de Betina qui est un beau souvenir pour moi.

Aujourd’hui on entend tout le monde parler d’inclusion. “On met l’inclusion à toutes les sauces” me disait Betina en préparant cette journée. On a échangé sur ce sujet et on a vu des points de convergences mais aussi des choses que je n’ai pas très bien comprises comme quand je t’avais appelé Betina. En deuxième étape, on a convenu que, dans la prise en charge éducative et médico-sociale, beaucoup de choses seraient à changer. On fait tous le constat que des choses ne fonctionnent pas et qu’il y a des choses dans lesquelles je ne reconnais pas la place de FX. Ca me semblait moins ambitieux que l’inclusion qui m’avait “appâtée” au départ mais c’est une question de point de vue et je m’y étais résolu.

Pourtant, dans le bureau de Betina, au milieu de quelques tableaux impressionnistes qui ont certainement influencés cette conversation, on s’est dit que finalement la façon la plus efficace de partager mon point de vue serait de dépeindre FX, par petites touches, pour décrire ce qui le compose. C’est la force du témoignage. De parler à chacun, comme un tableau nous parle.

J’ai organisé la suite de mon intervention comme ce poème, simple et beau, de Prevert et qui parle de peinture et qui s’intitule : Pour faire le portrait d’un oiseau.

Ce qui tombe bien car dans les premiers vers, il faut peindre une cage.

Peindre d’abord une cage

Hier dans l’école de FX se tenait une réunion ESS (Equipe de Suivi de la Scolarisation). Il y a beaucoup de professionnels autour de la table et tout le monde fait un portrait de FX complètement différent ou plutôt lui refait le portrait (ahah) ! C’est en effet assez violent ce genre de réunion. Quand on a une vision de son enfant, entendre certaines choses peut parfois être difficile et effectivement il y a ce côté normatif de l’éducation nationale qui contribue beaucoup au fait de parler de : ce qu’il ne fait pas, ce qu’il ne sait pas faire, ce qu’il devrait faire, etc…

Comme quand on regarde un tableau, on projette tout un tas de choses sur FX : “il ne s’intègre pas avec les autres” (alors que 20mn avant, en aparté, le directeur de l’école nous disait : “c’est formidable. Il est hyper intégré etc”). L’enseignant dit : “non. Il ne rentre pas dans la classe en même temps que les autres”. Moi j’essaie de faire le portrait tel que je vois mon fils, avec mon point de vue. Je suis amateur de photographie alors la question du point de vue ça m’a toujours beaucoup parlé. J’écoute. J’essaye de faire la synthèse de ce portrait que l’on fait de lui en ESS. Finalement, FX prend la place qu’on veut bien lui donner. L’image de la cage correspond bien à cette idée.

Il y a aussi le mimétisme. Comme tout le monde on s’imite les uns les autres, mais pour FX c’est encore plus marqué. Si on le peint comme quelqu’un qui se tient à l’écart des autres, les autres vont lui donner cette place et vont s’en méfier d’une certaine manière. Ils vont se dire, il n’est pas comme nous et FX va prendre ce rôle-là. “Je est un autre” écrivait Rimbaud.

Je suis assez positif et je me dis que finalement c’est bien que tout le monde puisse dépeindre son portrait de FX. C’est sans doute mieux que, ce que j’observe parfois, un regard de compassion ou de charité. Regard tellement bienveillant qu’il en devient contre-productif, protecteur et infantilisant. “Tu es un pauvre petit”. “Tu es fragile”. Regard qui, la encore, le mettrait dans une cage.

Ce que m’a appris FX c’est que : le regard de l’autre c’est une vision dans laquelle je me reconnais.

Je parlais d’une approche “top down” tout à l’heure et le “protocole” est un peu similaire dans le sens ou il va tout “normer”, tout égaliser. Ça ne va pas du tout permettre de se reconnaitre dans l’autre.

Voilà sur la façon de peindre FX. On ne parle pas encore de lui finalement mais de comment les autres le voient.

Peindre ensuite quelque chose de beau

Toujours dans l’analogie avec le poème de Prevert, je voudrais compléter le tableau, en partageant une petite anecdote.

J’étais en déplacement à Paris et je parlais avec la personne qui m’accompagnait des intérêts restreints de FX et notamment les trains. Comme toujours quand je parle de différence et d’autisme, j’ai un regard assez positif et je lui explique tout ce que FX m’a apporté en m’apprenant sur moi et sur les autres. C’était à l’aller dans le train. Je savais aussi que mon interlocuteur était également passionné de trains. Je lui dis : on est tous fous, on a tous des délires, on est tous passionnés de photos, de trains, de lampadaires. Il y a des choses plus ordinaires que d’autres mais on a tous nos lubies (certains réalisateurs se sont d’ailleurs spécialisés sur le sujet comme Aronfsky qui parle beaucoup des obsessions). Donc je parle de tout ça sous un axe assez psychologique et positif de ce que cette personne pourrait apprendre de ça.

Au retour en fin de journée, la personne qui m’accompagnait me dit : t’as vu la référence du train ? C’est le même que ce matin !

Alors là, c’est plus fort que moi, je lui dis : tu vois t’es autiste !

Quand je dis ça, je ne projette rien de négatif. On a tous nos stéréotypies, nos lubies, nos obsessions. Sauf qu’un aller en train d’une heure n’avait pas suffi à ce que cette personne puisse voir le positif et ce que cela nous apprend sur nous-même. Il n’était pas d’accord. J’ai donc moi-même projeté quelque chose que n’acceptait pas cette personne. C’est mon cheval de bataille.

Peindre quelque chose d’utile pour l’oiseau

Ce que FX m’a appris, je voudrais le transmettre à tout le monde et je me suis demandé si ce n’est pas pour ça que j’avais été amené à m’intéresser au langage. Il y’a d’abord eu l’autisme, puis la rencontre fortuite avec Funambules qui m’a éveillé et qui m’a permis de relier l’autisme et le langage. Tout ça réunit m’a aussi permis de m’ouvrir aux autres et m’épanouir, car si FX à ce handicap, ce n’est pas anodin. Je me reconnais beaucoup en lui et je pense que j’ai aussi cette différence.

Cette curiosité pour le langage remonte à loin et déjà quand j’étais développeur. J’avais remarqué que le langage de programmation pouvait représenter une forme de poésie. Il y a des développeurs qui, en plus de résoudre des problèmes algorithmiques, le fond de manière élégante, esthétique, artistique en utilisant une forme de poésie. Après j’ai aussi pratiqué la photographie. Donc : l’autisme, funambules, la programmation, la photo. Le langage draine ma vie. On ne peut pas y échapper. On est tous confrontés au langage.

D’ailleurs cette façon de relier l’autisme et le langage me fait penser à la critique du film Hors Norme que Betina avait faite et que j’avais résumé comme ceci pour en parler dans mon entreprise :

« Le film présente différentes formes de communication entre hommes et femmes neurotypiques, c’est à dire comme la majorité d’entre nous, ou porteurs d’autisme : le mensonge (plus simple pour un neurotypique), les pictogrammes, la danse, l’écriture, le verlan, les silences même. Souvent les silences en disent long. On se rend compte que l’on est tous embarqués dans cette complexité de communiquer »

Cette question du langage avait d’ailleurs déjà été abordée par Fanny, comédienne et Funambules. En réponse à mes inquiétudes sur le fait que FX ne parle pas à l’école il y a quelques années, elle avait dit quelques chose comme : “pour parler il faut avoir quelque chose à dire”.

Plus concrètement, et pour parler davantage de FX. Depuis plusieurs années, je l’accompagne à l’association Funambules. FX à l’habitude de faire du “théâtre improvisé”. C’est à dire que c’est du théâtre mais ce n’est pas prévu au départ. Fanny et FX téléphonent à des personnages fictifs aux prénoms tels que “Christine” et c’est l’occasion de dérouler toute la palette des émotions. Par exemple : “allo Christine, on a pas notre billet de train, qu’est ce qui se passe ?”. FX est à fond dans ce jeu de role, le théâtre, l’expression des émotions. Comme tout ça est imaginaire, c’est peut être plus simple pour FX et il n’y a aucune limite. Ça sort tout seul et il y a un coté un peu thérapeutique de faire sortir les mots dans l’ordre qu’il veut avec des personnages imaginaires.

A la maison, la photographie est un média que j’utilise plus facilement. FX a une mémoire visuelle très forte. Il a appris à parler grâce à la photo j’en suis convaincu (ou peut être que c’est moi ?). On jouait à trouver telle ou telle personne dans des petits albums que je lui avais préparés. Il photographie également les mots dans sa mémoire. Il est fier d’être sur la photo. D’ailleurs il n’était pas sur sa photo de classe cette année, tout un symbole. Il demande que l’on dessine ses rêves, ses peurs et surtout ses cauchemars (les surréalistes veillent ;-)) Chaque autisme est différent. FX a toujours été très sensible aux sourires des autres et même à leur bien-être : “Tu es fier de moi papa ?” C’était donc un vrai problème au début du diagnostic car en tant que parent on ne sait pas encore “le bonheur” qui nous attend. On est triste et fatigué. Ce qui amplifie les troubles et nous fait rentrer dans un cercle vicieux.

En résumé

Je suis souvent un peu embêté par l’idée d’être positif sur le handicap et l’autisme en particulier car ça serait occulter une partie d’une souffrance de FX. Je ne peux pas dire simplement “c’est génial tout ce que nous apprend FX” car dans cette prise en charge qui est encore trop particulière en France, ça met FX en souffrance (ça rime).

Ça pose beaucoup de questions sur l’intérêt de la société par rapport à l’intérêt de l’individu.

Si FX n’était pas en souffrance aussi souvent j’aurai envie de dire que c’est un “bonheur que je ne souhaite à personne” (comme le fameux titre du livre de Samuel LeBihan). Car je ne souhaite à personne de voir son enfant souffrir mais ce qui est un bonheur c’est que nous sommes encore qu’au tout début de la compréhension de plein de choses et j’ai hâte d’être dans 100 ou 200 ans et on rigolera du moyen age dans lequel on est aujourd’hui.

Je voudrai aussi vous parler de deux types de discours qui m’ont beaucoup inspirés :

Dans l’entreprise dans laquelle je travaille, il a été possible d’accompagner des personnes dans le retour à l’emploi et il y avait un très beau discours de présentation de cet accompagnement. L’idée était qu’avec l’IA, avec la facilité d’accès à l’information, la possibilité de tout apprendre, de monter en compétence rapidement, tout ça allait bouleverser les critères de recrutement plus tard dans la société. C’était un discours inclusif dans le sens ou on se rend compte que ce sont les compétences humaines, savoir ce que l’on va chercher chez les autres, savoir qui on est, c’est ça qui fera la différence et pas notre performance mais plutôt notre résilience, rebondir sur des expériences difficiles, avoir de l’empathie, etc. Les nouvelles technologies nous apporterons elles la performance assez automatiquement. Je me suis dit que c’était un alignement des planètes car c’est tout ce que je souhaite pour FX.

Il y a aussi le discours de Hugo Horiot qui a été très inspirant pour moi. Il dit notamment qu’il ne faut pas aborder l’autisme sous l’axe de la charité. La société doit comprendre son intérêt à elle d’intégrer les atouts des personnes avec autisme (plus simples pour les aspergers).